L'arrêt Sarran, rendu par le Conseil d'État le 30 octobre 1998, est une décision fondamentale, car il affirme la primauté de la Constitution sur les traités internationaux dans l’ordre interne. Faits, procédure, prétentions, question de droit, portée juridique… Découvrez la fiche d’arrêt enrichie de l’affaire Sarran !
Sommaire :
Dès la L1 droit, vous rencontrez l’arrêt* Sarran Levacher et autres du 30 octobre 1998, rendu par le Conseil d’État, qui traite de la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique interne sur les normes de droit international.
Décision fondamentale dans votre apprentissage, vous devez la connaître sur le bout des doigts, à l’instar de Fraisse du 2 juin 2000 qui porte sur le même thème.
Nous vous proposons une présentation détaillée avant d’établir la fiche d’arrêt et l’analyse de l’arrêt Sarran. Et parce qu’on est très généreux avec les étudiants en droit, on ajoute des tips pour mémoriser plus facilement la décision. Vos commentaires d’arrêt en droit administratif n’ont qu’à bien se tenir.
*Nous utilisons le terme « arrêt » à tort, car un Conseil rend des décisions. Mais afin de fluidifier la lecture, nous continuerons cet affront. Vous êtes prévenus.
Fiche d’arrêt
📃 Pour présenter correctement une décision, comme l’arrêt Sarran (et le cas échéant, introduire votre commentaire), vous devez passer par l’étape incontournable de la fiche d’arrêt qui comporte : (une accroche), les faits, la procédure, les thèses en présence*, la question de droit** et la solution***.
*Nous avons choisi cette formule qui permet d’inclure tant les moyens des parties que les motifs de la juridiction. Parfois, les enseignants demandent les motifs du juge à la suite de la procédure.
Veillez à respecter la méthodologie exigée par vos enseignants (dans l’idée, on attend tous la même chose, mais parfois, dans des ordres différents ou en utilisant des termes qui changent légèrement, et vous voilà perdus « non, mais notre prof, il attend une méthodologie spécifique »… Pas le moins du monde chers étudiants, mais soit).
**Pour un commentaire d’arrêt, il faut ajouter la problématique qui se distingue du problème de droit qui est simplement la question posée au juge.
La problématique juridique est une question plus générale qui vous permet d’inscrire théoriquement votre arrêt dans vos connaissances.
***En général, on exige aussi la portée à la fin de la fiche d’arrêt. Quant au commentaire, l’introduction doit se terminer par l’annonce du plan qui répond à la problématique.
Faits de l’arrêt Sarran
Dans l’arrêt Sarran les faits étaient liés à la tenue d’un scrutin pour la ratification d’un accord (Nouméa) par référendum en Nouvelle-Calédonie.
Une loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 était venue modifier la Constitution (art. 76) qui elle-même renvoyait à un décret pour préciser les modalités du scrutin restreint à la population résidant sur le territoire néo-calédonien depuis au moins 10 ans.
Des citoyens se sont vus priver du droit de participer et ont contesté la légalité du décret adopté le 20 juillet 1998.
Procédure de l’arrêt Sarran
Le Conseil d’État a été saisi d’un recours en excès de pouvoir* contre le décret du 20 juillet 1998 en premier et dernier ressort**.
*On sait qu’il s’agit d’un REP, car l’arrêt expose les moyens de légalité interne et externe, ce qui fait référence à la méthode du contrôle de l’excès de pouvoir.
💡 Bon à savoir : **cela signifie qu’il a statué par une décision insusceptible d’appel. Le Conseil d’État dispose d’une compétence exclusive en matière de contentieux électoral (art. L 311-3 du Code de la justice administrative). |
Thèses en présence de l’arrêt Sarran
Les requérants ont avancé de nombreux moyens pour défendre leurs prétentions visant à l’annulation du décret du 20 juillet 1998.
Mais, les arguments qui nous intéressent ici sont ceux relatifs à la hiérarchisation des normes.
Les requérants arguent, en effet, que, l’article 76 de la Constitution, en limitant le scrutin aux citoyens domiciliés en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 10 ans, rompt avec les textes internationaux (Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966 et Conv. ESDHLF).
Ils considéraient également que les dispositions du décret du 20 juillet 1998 étaient contraires à certaines dispositions constitutionnelles (art. 1 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen* et art. 3 de la Constitution du 4 octobre 1958).
*Elle fait partie du « bloc de constitutionnalité » (Cons. const., décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association) qui regroupe toutes les normes constitutionnelles en France.
💡 Bon à savoir : à titre purement informatif, d’autres moyens étaient avancés, notamment relatifs au défaut de Consultation du Conseil constitutionnel pour l’organisation des opérations de référendum*. Il aurait dû, d’après les requérants, être consulté pour l’adoption du décret du 20 juillet 1998. Ou encore, par rapport au défaut de consultation du Congrès du territoire. *⚠️ Attention : la question de l’intervention du Conseil constitutionnel face aux questions référendaires a abouti à de nombreuses discussions. Les Sages ont affirmé qu’ils n’étaient pas compétents pour contrôler la constitutionnalité d’une loi adoptée par référendum, car elle est l’expression directe de la volonté générale (Conseil constitutionnel, décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962). Néanmoins, par la suite, il a ouvert son office pour les actes préparatoires au référendum (décision n° 2000-21 REF du 25 juillet 2000, Hauchemaille). |
Question de droit de l’arrêt Sarran
La question de droit posée au juge dans l’arrêt Sarran était celle de savoir si le décret adopté le 20 juillet 1998 était régulier alors qu’il privait certains citoyens du droit au scrutin reconnu par des engagements internationaux.
Solution de l’arrêt Sarran
Dans l'arrêt Sarran, le Conseil d’État répond par la positive, car ce décret est adopté sur le fondement de la Constitution qui prime, dans l’ordre juridique interne, les engagements internationaux.
De ce fait, l’acte administratif ne peut pas être contrôlé par le juge administratif en ce qu’il s’agirait d’opérer un contrôle de constitutionnalité.
Aussi, le juge administratif précise que le décret n’est pas inconstitutionnel dans la mesure où l’article 76 de la Constitution, sur le fondement duquel il est adopté, a entendu déroger aux autres normes constitutionnelles invoquées.
Présentation de l’arrêt Sarran
📚 Pour présenter convenablement l’arrêt Sarran du 30 octobre 1998, qui reconnaît la primauté de la Constitution sur les traités, nous avons besoin de le contextualiser dans le but de mieux raisonner juridiquement, et donc, de mieux commenter.
C’est aussi tout l’intérêt de réaliser une lecture analytique pour saisir en un ou deux coups d’œil tous les éléments importants qui vous permettent de réaliser des liens avec vos connaissances.
Le droit, c’est aussi mener des enquêtes pas du tout intéressantes sur la bande Sarran, Levacher et autres.
Contextualisation de l’arrêt Sarran
Pour contextualiser l’arrêt Sarran, le Conseil d’État avait été saisi pour contrôler la légalité d’un acte administratif. Alors, comment en arrivons-nous à la conclusion selon laquelle la Constitution prime les traités internationaux ?
Dans cette affaire, le décret contesté avait été pris sur le fondement de dispositions constitutionnelles, à savoir l’article 76 de la Constitution.
Le décret est notre « acte administratif », les dispositions constitutionnelles, notre « Constitution ».
Où sont donc les traités ? Revenons-en à notre article 76 de la Constitution, qui, depuis la modification dont il avait fait l’objet, disposait que la population de Nouvelle-Calédonie était appelée à se prononcer sur l’accord de Nouméa du 5 mai 1998.
Par la même occasion, cette disposition constitutionnelle était venue restreindre la participation au scrutin du corps électoral aux personnes domiciliées de plus de dix ans sur le territoire néo-calédonien.
L’article renvoyait à un décret pour préciser les modalités du scrutin. Cet acte administratif a été adopté le 20 août 1998.
C’est la situation qui a abouti à la décision Sarran, Levacher et autres du 30 octobre 1998 qui fait référence à la hiérarchie des normes.
La hiérarchie des normes est une théorie selon laquelle les sources du droit sont organisées (hiérarchisées) en fonction de leur rang. Elle a été théorisée par le juriste austro-américain Hans Kelsen.
Selon cette théorie, les normes juridiques sont hiérarchisées. La norme la plus élevée est la Constitution. Elle prime, dans l’ordre juridique interne, toutes les autres normes (ce que l’arrêt Sarran vient indiquer).
Les traités internationaux, les lois, les règlements et autres actes administratifs sont tous subordonnés à la Constitution.
Pourtant, vous avez sûrement entendu certains dire que les traités priment. Reprenons le texte de la Constitution. Dire c’est bien, justifier, c’est mieux. Méfiez-vous des imposteurs qui utilisent de beaux mots pour vous endormir, mais qui n’ont aucun fondement juridique objectif.
Donc, l’article 54 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « Si le Conseil constitutionnel […] a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».
Cet article signifie que si un engagement international est contradictoire par rapport à la Constitution, il ne peut pas être approuvé en interne (être ratifié), sauf si la Constitution est révisée dans son sens.
Autrement dit, si la norme suprême n’est pas modifiée, le texte international ne sera jamais ratifié. C’est en cela qu’elle reste supérieure, car l’engagement international voit sa ratification subordonnée à une révision constitutionnelle.
L’arrêt Sarran ne fait donc qu’appliquer la Constitution comme elle doit l’être.
❤️ Recommandé pour vous : La méthodologie de la fiche d'arrêt
Lecture analytique de l’arrêt Sarran
Procéder à une « lecture analytique » vous permet de recueillir les premiers indices dans l’arrêt Sarran pour mieux réaliser un commentaire d’arrêt par la suite (ou simplement la fiche d’arrêt).
Nous commençons par l’en-tête pour dégager les indices qui témoignent de l’importance de la décision, avant d’aller lire le considérant qui nous intéresse ici.
L’en-tête
● Conseil d’État - ASSEMBLÉE statuant au contentieux → une décision du Conseil d’État,
donc qui touche de près ou de loin au droit public (mais très souvent, de près). Quant à
la formation de jugement, on comprend qu’il s’agit d’une décision qui porte sur un
thème complexe et important.
L’assemblée (du contentieux) est la formation de jugement la plus solennelle du Conseil d’État, composée de 17 juges.
Lorsque vous voyez cette mention, vous pouvez comprendre que la décision a probablement tranché une question complexe et a une grande portée ou opère un revirement de jurisprudence.
Très utile à savoir pour réaliser un commentaire d’arrêt intéressant, vous savez d’emblée que vous allez pouvoir appuyer ces informations.
● N° 200286 200 287 → numéros de pourvoi, RÀS, si ce n’est qu’il y en a deux, donc
certainement plusieurs demandes ;
● Publié au recueil Lebon → une décision publiée au Lebon a sûrement une importance
du point de vue de sa portée juridique ;
● Lecture du vendredi 30 octobre 1998 → une date, et c’est peut-être l’un des éléments
auquel il faut prêter le plus d’attention.
La date vous permet d’inscrire la décision dans un contexte juridique et de voir s’il y a eu un revirement de jurisprudence.
Eh oui, lorsque vous venez en examen de droit administratif pour réaliser un commentaire d’arrêt, il est impératif d’avoir des connaissances. Sans elles, vous ne pourrez pas correctement inscrire votre décision dans un courant temporel juridique, et ainsi, passerez probablement à côté d’une très bonne note.
L’arrêt Sarran a été rendu en 1998, quelques années après l’arrêt Nicolo qui porte aussi sur le thème de la hiérarchie des normes, mais dans un autre registre (primauté des traités sur les lois, même postérieures, et possibilité pour les juges ordinaires de réaliser un contrôle de conventionnalité).
● Président M. Denoix de Saint Marc → le juge qui préside la séance. Rien d’important
pour vous ;
● Rapporteur Mme Prada Bordenave → le juge qui instruit l’affaire. Rien de plus à signaler ;
● Commissaire du Gouvernement Mme Maugüé → cette mention est importante. Le «
commissaire du Gouvernement* » est un intervenant qui donne son avis (juridique) sur
l’affaire. En ayant son identité, vous pouvez parfois trouver ses conclusions qui vous
permettent de mieux saisir les tenants et aboutissants de l’arrêt que vous étudiez.
*Aujourd’hui, vous verrez la mention « rapporteur public » qui fait référence à l’ancienne appellation « commissaire du Gouvernement », à ne pas confondre avec le « rapporteur » tout court.
VISAS → ce sont les éléments de droit ou de fait sur lesquels s’appuie le juge pour
statuer. Ils nous laissent parfois savoir le thème de la décision rien qu’à leur lecture.
Concentrons-nous sur les éléments de droit → Vu la Constitution modifiée notamment par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998. On comprend qu’une norme constitutionnelle est en cause.
● Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel → on comprend qu’il y a peut-être l’implication du Conseil
constitutionnel dans notre affaire (mais, on n’est pas certains, car c’est simplement une
petite enquête) ;
● Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques → du droit international
pointe le bout de son nez, intéressant ;
● Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, ensemble le protocole additionnel n° 1 à cette convention → OK,
clairement, on a du droit international.
💡 Bon à savoir : le protocole n° 1 consacre différents droits, dont la protection de la propriété privée, ou encore le droit à des élections régulières. Vous pouvez peut-être savoir quel sera le thème de la décision, rien qu’avec ce texte (enfin, son champ reste vaste, donc, disons que la décision portera sur l’un des domaines du protocole, mais il est encore trop tôt pour savoir lequel). |
Les autres visas sont des normes législatives. À ce stade, on ne sait plus trop où aller (si ce n’est que le Code électoral est visé, donc, on comprend qu’on est peut-être sur une histoire d’élections si on fait le lien avec le protocole n° 1).
Cela dit, tous ces fondements laissent planer un vrai mystère dont il n’est pas possible de comprendre immédiatement la teneur. Néanmoins, nous sommes de vrais enquêteurs et allons plus loin en cherchant le considérant de principe.
Le considérant de principe
Le « considérant de principe » est celui qui vient poser tout l’intérêt de la décision que vous étudiez. Il faut scruter à la loupe pour le trouver, et avoir des connaissances sur le sujet devient indispensable, sinon vous passerez à côté. Dans l’arrêt Sarran, le considérant de principe est le suivant :
« Considérant que si l’article 55 de la Constitution dispose que “les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie”, la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en ce qu’il méconnaîtrait les stipulations d’engagements internationaux régulièrement introduits dans l’ordre interne, serait par là même contraire à l’article 55 de la Constitution, ne peut lui aussi qu’être écarté ».
En tant qu’enquêteur, il faut être en mesure de découper cet élément pour l’analyser avec minutie :
● L’article 55 de la Constitution → on comprend ici primauté des traités sur les lois (oui,
oui, on vous l’a dit, il faut des connaissances pour réaliser un commentaire d’arrêt, et
même une fiche d’arrêt d’ailleurs. Ceux qui vous disent l’inverse vous mentent) ;
● Suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux → OK, on est clairement sur
une question de hiérarchie des normes (ou pyramide de Kelsen) ;
● Ne s’applique pas dans l’ordre juridique interne aux dispositions de nature
constitutionnelle → en interne, et seulement en interne, les traités ne priment pas* la
Constitution.
*Pour vous assurer des points dans les copies, travaillez votre français. On dit « primer quelque chose » et pas « primer sur quelque chose ».
Et comme toujours, la Team Pamplemousse est présente pour vous faire gagner ces précieux points, avec nos 85 Flashcards de français juridique à ne plus (jamais) faire !
● le moyen […] ne peut lui aussi qu’être écarté → l’argument du requérant n’est pas
opérant et on comprend que d’autres de ses arguments ont été écartés (pauvre
administré…).
Résumé de l’arrêt Sarran
Pour résumer en quelques lignes l’arrêt Sarran, retenez qu’il y a eu un contentieux relatif à la tenue d’un scrutin, dans le cadre duquel le Conseil d’État a affirmé que, dans l’ordre interne, la Constitution prime les traités internationaux.
Il a pu le faire en étant saisi de la légalité d’un acte administratif (décret) pris sur le fondement de la Constitution (art. 76) pour organiser le scrutin d’élections.
Faisant prévaloir la Constitution sur les dispositions issues des engagements internationaux (Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966 et Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ratifiée en 1974 par la France).
Analyse de l’arrêt Sarran
🤓 Analysons ensemble l’arrêt Sarran du 30 octobre 1998 qui s’intéressait à la problématique d’un conflit entre Constitution et engagement internationaux. Les explications permettront d’en saisir le sens, la valeur et la portée.
Problématique de l’arrêt Sarran
La problématique posée par l’arrêt Sarran se distingue de la question de droit. Il s’agissait en l’espèce de savoir si une disposition constitutionnelle qui contrevient à un engagement international devait être écartée. Ce qui soulève naturellement une tension à propos de l’office du juge administratif.
La problématique posée peut ainsi être formulée : le juge administratif est-il compétent pour réaliser un contrôle de conventionnalité d’une norme constitutionnelle ?
Explications de l’arrêt Sarran
Voici quelques explications par rapport à l’arrêt Sarran selon lequel le juge administratif ne peut pas écarter une disposition constitutionnelle, même si elle se révèle contraire à un traité (sens).
Ce qui est intéressant (valeur) est que le juge a pris position au sujet de la hiérarchie des normes, affirmant que seulement dans l’ordre interne, la Constitution prime les engagements internationaux, se fondant sur l’article 55 de la Constitution.
Le sens de l’arrêt Sarran
Le sens de l’arrêt Sarran amène à s’intéresser au rôle du juge administratif lorsque sont en conflit des normes constitutionnelles et internationales.
S’il avait affirmé au préalable qu’il pouvait opérer un contrôle de conventionnalité d’une loi par rapport à un engagement international (CE, 20 octobre 1989, Nicolo), le Conseil d’État ne franchit pas un pas supplémentaire dans cette espèce.
Il était peut-être légèrement invité à aller plus loin en opérant un contrôle de conventionnalité de la Constitution par rapport à un traité. Quelle audace !
Mais, le Haut Conseil sait rester à sa place. Il a indiqué que, conformément à l’article 55 de la Constitution, la Constitution n’est pas subordonnée, dans l’ordre juridique interne, aux traités.
Donc, naturellement, aucun contrôle de conventionnalité ne peut être réalisé.
La valeur de l’arrêt Sarran
La valeur de l’arrêt Sarran permet de revenir sur ce qui est intéressant dans le raisonnement adopté par le juge. En concluant comme il l’a fait, le Conseil d’État a pris soin de distinguer deux ordres : les ordres juridiques internes et l’ordre juridique international.
● Dans l’ordre interne, on l’a compris, la Constitution prime les engagements
internationaux.
Cette solution est tout à fait logique dans la mesure où l’article 55 de la Constitution visé par le juge ne concerne que les lois et n’évoque pas les textes constitutionnels.
Or, « ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus » littéralement traduit par « ne chatouillez jamais un dragon qui dort ». Non, plus sérieusement, cette expression latine signifie que là où la « loi » ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.
En d’autres termes, étant donné que la Constitution n'évoque pas les textes constitutionnels, il n’y avait pas lieu de les inclure dans cette espèce. Certes, on n’est pas exactement sur l’adage, mais on s’en rapproche.
Peu favorable à la norme constitutionnelle, cette lecture de l’article 55 de la Constitution n’en reste pas moins fidèle à la lettre du texte.
● Mais, sur le plan international, le Conseil d’État ne revient pas sur l’idée selon
laquelle les règles de droit international prévalent le droit interne.
Autrement dit, on ne peut pas se prévaloir de ses propres textes, y compris constitutionnels, à l’international pour exclure l’application de règles internationales (sinon, ça n’aurait aucun sens de conclure des pactes, traités ou conventions internationaux…).
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Portée de l’arrêt Sarran
La portée de l’arrêt Sarran permet de mettre en évidence ce qu’il a apporté juridiquement. À savoir une clarification de l’articulation entre les normes constitutionnelles et internationales dans l’ordre interne qui a été reprise par la Cour de cassation dans son arrêt Fraisse du 2 juin 2000.
Le Conseil d’État a poursuivi son œuvre en apportant des précisions pour les normes du droit de l’Union européenne (CE, 2 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique).
Pas plus que les engagements internationaux au sens large, ceux de l’Union européenne ne priment pas la Constitution dans l’ordre interne.
⚠️ Attention : néanmoins, le législateur reste soumis à une obligation de transposer les directives conformément à l’article 88-1 de la Constitution (CE, 8 février 2007, ARCELOR qui a suivi le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004). La seule limite à cette obligation est lorsque les normes de droit dérivé portent atteinte à l’identité constitutionnelle de la France (Cons. const. décision n° 2006-540 DC, cons. 19). |
Pour autant, cette décision n’aboutit pas à faire du juge administratif, et plus largement des juges ordinaires, des acteurs du contrôle de la conformité des traités à la Constitution* (et toujours pas des lois non plus, CE, 5 mars 1999, Rouquette et autres).
⚠️ Attention : *si l’effectivité de la hiérarchie des normes (ou pyramide de Kelsen) est soumise à l’existence de contrôles, il ne faut pas confondre : ● Contrôle de constitutionnalité → contrôle de la conformité d’un texte par rapport à la Constitution (rôle du Conseil constitutionnel, v. art. 61 et 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958) ; ● Contrôle de conventionnalité → contrôle de la conformité d’un texte par rapport à un engagement international (les juges ordinaires opèrent un tel contrôle [Cour de cassation, 24 mai 1975, Jacques Vabre ; CE, 20 octobre 1989, Nicolo], mais pas le Conseil constitutionnel [Cons. const., décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975]) ; ● Contrôle de légalité → contrôle de la conformité d’un texte à une loi (généralement opéré par le juge administratif, mais le juge judiciaire le réalise, par exemple, dans le cadre de l’article 111-5 du Code pénal). |
Autres arrêts importants sur la hiérarchie des normes
📜 La thématique de la hiérarchie des normes est centrale pendant les études de droit. Voici une liste d’autres décisions importantes sur le même thème à mettre en lien (aucun intérêt de les citer si vous n’êtes pas capable de les connecter) :
● Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, IVG → refus de se déclarer compétent pour
exercer le contrôle de conventionnalité ;
● Cour de cassation, 24 mai 1975, Jacques Vabre → le traité du 25 mars 1957 a une autorité
supérieure à celle des lois, même postérieures, conformément à l’article 55 de la
Constitution ;
● Conseil d’État, 20 octobre 1989, Nicolo → primauté des traités sur les lois, même
postérieures, et possibilité pour les juges ordinaires de réaliser un contrôle de
conventionnalité ;
● Cour de cassation, 2 juin 2000, Fraisse → affirmation de la suprématie de la Constitution
sur les traités internationaux dans l’ordre interne par le juge judiciaire ;
● Conseil d’État, 31 mai 2016, Madame Gonzalez-Gomez → le juge des référés peut
contrôler la conventionnalité d’une loi.
Comment mémoriser l’arrêt Sarran Levacher et autres ?
🧠 Pour ancrer dans votre mémoire l'arrêt Sarran Levacher et autres du 30 octobre 1998, une décision clé du Conseil d’État, utilisons la technique infaillible de l'association mentale par l'image.
Cette méthode, que Pamplemousse rend ludique et efficace (et applique dans le FIGADA pour faciliter l’apprentissage des grands arrêts de la jurisprudence administrative + dans les Flashcards imagées), vous permet de décupler les capacités de vos neurones.
L’idée, on le rappelle, est d’imaginer une histoire captivante pour mémoriser le nom, la date et la portée juridique (la suprématie de la Constitution sur les normes internationales, dans cet arrêt Sarran).
Visualisons une grande salle du trône, où siège majestueusement la Constitution, parée d'une couronne étincelante sur laquelle est écrit en grandes lettres noires « 1998 » et d'un manteau aux couleurs de la France.
Elle est assise sur un bloc de bois (bloc de constitutionnalité). Son trône est placé au sommet d'une pyramide symbolisant l'ordre juridique interne.
Autour de la pyramide, des rouleaux de parchemins ornés de différents drapeaux de pays étrangers flottent dans les airs, représentant les normes de droit international. Bien qu'ils tentent de s'élever, une force invisible les maintient en dessous du sommet où trône la Constitution.
Soudain, un faisceau de lumière émane de la couronne de la Constitution, illuminant chaque rouleau de parchemin et les marquant d'un sigle lumineux, signifiant leur importance mais confirmant leur position sous la souveraineté de la Constitution.
Au centre de cette scène, le Conseil d’État (un grand bâtiment fait de colonnes), sur lequel se trouve une vache (Levacher), qui acquiesce comme jamais en hochant la tête (acquiescer = « ça rend bien » = « Sarran ») tient fermement un marteau dans une main, et un drapeau portant l'inscription « Suprématie constitutionnelle ».
Le Conseil d’Etat décide alors de planter le drapeau au sommet de la pyramide, scellant ainsi l'ordre hiérarchique des normes dans l'ordre juridique français.
Et voilà, l'essence de l'arrêt Sarran Levacher est désormais gravée dans votre mémoire grâce à cette histoire imagée, garantissant que vous n'oublierez jamais la primauté de la Constitution sur les normes internationales dans le système juridique français.
Article rédigé par une enseignante en Droit constitutionnel
(attachée temporaire d'enseignement et de recherche)
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