L'arrêt Nicolo, rendu par le Conseil d'État le 20 octobre 1989, est une décision fondamentale, car le juge administratif reconnait que les traités internationaux priment les lois, mêmes postérieures, dans l’ordre interne. Faits, procédure, prétentions, question de droit, portée juridique… Découvrez la fiche d’arrêt enrichie de l’affaire Nicolo !
Sommaire :
L’arrêt Nicolo du Conseil d’État du 20 octobre 1989 rappelle, conformément à l’article 55 de la Constitution, que les traités internationaux priment les lois, mêmes postérieures, dans l’ordre interne. À cette occasion, il se reconnaît compétent pour réaliser un contrôle de conventionnalité.
Rencontré dès la première année de droit, l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 est un incontournable lorsque vous étudiez la pyramide de Kelsen.
Pierre angulaire du contrôle de conventionnalité, cette décision doit non seulement être connue, mais vous devez établir des liens avec d’autres décisions aussi fondamentales qui portent sur le même thème de près (on pense à l’arrêt Jacques Vabre, évidemment) ou de loin (comme les arrêts Sarran ou encore Fraisse).
Pour mieux comprendre l’affaire Nicolo, nous vous proposons d’abord une rapide présentation, puis sa fiche d’arrêt et son analyse. Vous serez incollables sur les contrôles destinés à la protection de la hiérarchie des normes !
Fiche d’arrêt
La fiche d’arrêt, qui constitue, grosso modo, l’introduction du commentaire d’arrêt, est destinée à présenter une décision.
Elle se compose des faits qualifiés juridiquement, de la procédure qui a abouti à la décision, des thèses en présence*, de la question de droit et de la solution posées par la juridiction.
*Nous avons choisi cette formule qui permet d’inclure tant les moyens des parties que les motifs de la juridiction. Parfois, les enseignants demandent les motifs du juge à la suite de la procédure.
Veillez à respecter la méthodologie exigée par vos enseignants (dans l’idée, on attend tous la même chose, mais parfois, dans des ordres différents ou en utilisant des termes qui changent légèrement, et vous voilà perdus « non, mais notre prof, il attend une méthodologie spécifique »… Pas le moins du monde chers étudiants, mais soit).
Faits de l’arrêt Nicolo
Un électeur conteste les élections européennes du 18 juin 1989 pour irrégularité.
Procédure de l’arrêt Nicolo
L’électeur saisit le Conseil d’État d’une requête en annulation.
Voilà la réaction que vous devez avoir en lisant (et pas en copiant-collant) cet élément : 🤔.
Il a saisi le Conseil d’État ? Directement ? Oui, chers pépins, directement. La Haute juridiction de l’ordre administratif est compétente pour statuer en premier et dernier ressort (pas d’appel possible) en matière d’élection des représentants au Parlement européen (v. art. L. 311-3 1° du CJA).
Thèses en présence de l’arrêt Nicolo
Le requérant invoquait l’incompatibilité de la loi du 7 juillet 1977 avec le traité de Rome de 1957. Autrement dit, il mettait en exergue un conflit de normes. Il argue également que la participation de citoyens français des DOM et TOM (appelés DROM-COM aujourd’hui) rendait les élections irrégulières, car seule la métropole était visée par les textes.
Question de droit de l’arrêt Nicolo
La question de droit ne doit pas être confondue avec la problématique*. Dans l’arrêt Nicolo, le requérant demandait au juge si la participation de citoyens d’outre-mer (en tant qu’électeurs et candidats) rendait l’élection des représentants européens irrégulière.
*La problématique est une question théorique plus générale qui vous permet d’inscrire la décision dans un contexte juridique afin de la commenter et d’en tirer le sens (ce qu’elle signifie), la valeur (son intérêt), et la portée (ce qu’elle apporte juridiquement).
Solution de l’arrêt Nicolo
Le Conseil d’État répond par la négative en considérant que les textes visés incluaient bien les départements et territoires d’outre-mer qui font partie intégrante du territoire de la République qui forme une circonscription unique. Les élections ne sont pas irrégulières et la loi n’est pas en contradiction avec le Traité de Rome.
Nous vous présentons simplement la solution telle qu’elle est établie par le Conseil d’État dans sa décision. En principe, lorsque vous réalisez une « simple » fiche d’arrêt, il faut faire suivre la portée après la solution.
Étant donné que nous développons par la suite l’analyse de l’arrêt Nicolo pour vous aider à mieux comprendre comment réaliser un commentaire d’arrêt, la portée ne sera pas évoquée ici.
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Présentation de l’arrêt Nicolo
L’arrêt* Nicolo du 20 octobre 1989 est une décision par laquelle le Conseil d’État rappelle la supériorité des traités internationaux sur les lois internes, en réalisant, à l’occasion, un contrôle de conventionnalité.
**Nous utilisons le terme « arrêt » à tort, car un Conseil rend des décisions. Mais afin de fluidifier la lecture, nous continuerons cet affront. Vous êtes prévenus.
📚 Méthodologie : Pour mieux saisir un sujet, il est élémentaire de le contextualiser et de le lire de façon analytique afin d’en tirer des indices qui aident à une meilleure inscription de l’arrêt dans le contexte de vos connaissances juridiques. |
Contextualisation de l’arrêt Nicolo
Sieur Nicolo n’avait rien d’autre à faire de sa vie que d’intenter un recours devant le Conseil d’État, à l’aube d'Halloween. Le voici devant la Haute juridiction de l’ordre administratif, le 20 octobre 1989, pour une histoire d’élections européennes (mais on y reviendra, car le contexte qui nous intéresse ici n’est pas celui-ci).
Avant que la décision Nicolo soit rendue par les juges du Palais Royal*, il y avait un semi-vide juridique laissé par le Conseil constitutionnel, d’abord comblé par la Cour de cassation. Avant d’aborder ces questions de contrôle de conventionnalité, on vous propose de remonter à la source de tous ces beaux maux, la hiérarchie des normes.
*Petit synonyme pour éviter de répéter 417 fois « Conseil d’État », mais à utiliser avec parcimonie.
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Quelle est la conséquence de l’arrêt Nicolo sur la hiérarchie des normes ?
La question est très mal formulée, car il n’y a pas de « conséquence » de l’arrêt Nicolo sur la hiérarchie des normes. La décision vient simplement rappeler ce qui est déjà posé par la Constitution (art. 55) : les traités internationaux priment les lois, même si elles leur sont postérieures.
Pour saisir le contexte de l’arrêt Nicolo, il est important de rendre à César ce qui appartient à César. Sans hiérarchie des normes, cette décision n’aurait même pas lieu d’être. Pourquoi ? Parce qu’il n’y aurait tout bonnement rien à protéger, tout simplement.
La hiérarchie des normes est un concept théorisé par le juriste austro-américain Hans Kelsen (H. Kelsen, Théorie pure du droit, traduit par C. Eisenmann, LGDJ, Paris, Bruylant, Belgique, 1999). Reprise (et parfois remise en cause), cette théorie s’impose dans les ordres internes pour structurer les sources du droit.
Le grand homme a permis l’émergence d’un ordre sous forme de « pyramide » (et on ne fait pas de vilain mélange « pyramide des normes », c’est soit la pyramide d'Hans Kelsen, soit la hiérarchie des normes, chers étudiants en droit).
Le système juridique est cohérent et la hiérarchisation s’impose comme un critère de l’État de droit (cet État soumis au droit, ce qui permet d’éviter, entre autres, l’arbitraire, mais ce n’est pas le sujet).
C’est parce qu’au sein même des sources qui composent l’ordre juridique qu’une hiérarchisation existe, qu’il existe une forme de sécurité juridique qui aboutit à assurer cet État de droit (la réalité étant beaucoup plus complexe, notamment avec les questions de circonstances exceptionnelles, mais, une fois encore, ce n’est pas le sujet).
Pour faire court, chaque norme est valide, car elle tire sa légitimité de la norme supérieure, en sachant qu’au sommet de notre triangle se trouve la Constitution, qui est hypothétiquement valide (il n’a pas été cherché très loin, le petit Hans ! La réalité étant que c’est plus complexe et sa légitimité est généralement tirée de son processus d’élaboration, ce qui vous renvoie à vos cours de droit constitutionnel. Tout est lié. Tout. Ce n’est pas un complot, pas du tout).
Pour en revenir à nos petits agneaux, si la décision Nicolo a vu le jour, c’est entre autres parce qu’il est bien beau d’avoir dessiné une jolie pyramide sur papier, mais il faut encore qu’elle soit respectée en pratique.
Donc, pour assurer l’effectivité du respect de la hiérarchisation des normes, des contrôles doivent être opérés*.
💡 Bon à savoir : parce qu’un rappel de cours ne fait jamais de mal, il existe trois types de contrôles.
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L’arrêt Nicolo met en évidence la nécessité d’un contrôle de conventionnalité lorsqu’il y a conflit entre une loi et une norme « conventionnelle » (c’est-à-dire internationale, comme un traité ou une convention).
Vous comprenez, maintenant, pourquoi on parle de « contrôle de conventionnalité » ? Il faut analyser les termes pour en saisir le sens profond, c’est toute la beauté du droit !
Quels liens entre les décisions Nicolo, Jacques Vabre et IVG ?
Alors, quels liens doit-on établir entre Nicolo et les décisions :
- IVG du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975 ;
- Jacques Vabre de la Cour de cassation du 24 mai 1975.
Dans la première décision, les Sages ont refusé d’opérer un contrôle de conventionnalité des lois. En effet, d’après le Conseil constitutionnel, la procédure de contrôle a priori* n’ouvre pas droit à se prononcer sur la conventionnalité d’une loi.
Bien que l’article 55 de la Constitution affirme la supériorité des traités aux lois, il n’implique pas que le respect de ce principe puisse être assuré dans le cadre du contrôle de constitutionnalité qui limiterait l’effectivité des traités internationaux dont l’applicabilité ne dépend pas exclusivement de l’ordre interne.
Or, une loi contraire à un traité n’est pas forcément contraire à la Constitution. Par conséquent, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou accord international.
*Lorsque vous voyez cette expression, vous devez faire le lien avec l’article 61 de la Constitution et ce fameux contrôle de constitutionnalité avant promulgation de la loi.
Et là, naturellement, vous vous dites, « ça alors, mais qui est compétent pour le faire ? 🧐 »
C’est là qu’intervient la Cour de cassation, 5 mois après, pour combler un vide abyssal, laissé par les juges constitutionnels. Depuis le 24 mai 1975, il est acquis que le juge ordinaire peut réaliser un contrôle de conventionnalité et sanctionner, le cas échéant, une loi qui violerait un traité international.
Il a fallu attendre plus de 12 ans pour que le Conseil d’État prenne la même position (apparemment, il n’était pas pressé celui-ci, contrairement aux juges du Quai de l’Horloge).
On pourrait et devrait faire un lien avec les arrêts Sarran (Conseil d’État, 30 octobre 1998) et Fraisse (Cour de cassation, 2 juin 2000), qui affirment la primauté de la Constitution sur les traités internationaux dans l’ordre interne, mais on y reviendra plus tard.
Lecture analytique de l’arrêt Nicolo
Par lecture analytique, nous vous proposons d’analyser les contours de la décision afin de mieux saisir la thématique avant même d’analyser l’arrêt plus en profondeur. La forme dans les grandes lignes, avec l’en-tête, puis le fond, globalement en regardant les considérants identifiés comme « importants ».
L’en-tête
Lorsque l’on évoque « en-tête » de la décision, nous vous invitons à scruter les informations suivantes :
Conseil d’État - ASSEMBLÉE statuant au contentieux ;
N° 108243 ;
Publié au recueil Lebon ;
Lecture du vendredi 20 octobre 1989 ;
Président M. Long ;
Rapporteur M. de Montgolfier ;
Commissaire du gouvernement M. Frydman ;
VISAS.
Oh, mais que d’informations intéressantes ici. Décortiquons à la loupe tels les Enola et Sherlock en puissance que nous sommes 🧐.
Conseil d’État → juridiction qui a rendu la décision. On comprend que c’est un litige en matière administratif qui a été soulevé ;
Assemblée statuant au contentieux → formation de jugement solennelle du Conseil d’État*, on comprend que la décision rendue revêt une importance particulière.
*Elle est composée de 17 juges.
N° 108243 → RÀS pour le numéro de pourvoi ;
Publié au Lebon → information qui appuie l’idée selon laquelle la décision est importante ;
20 octobre 1989 → une date, on en fait quoi ? On la lit avec attention pour contextualiser notre décision, c’est fondamental de savoir resituer un arrêt dans un contexte temporel, car le droit évolue et on n’est jamais à l’abri d’un revirement de jurisprudence. N’est-ce pas intéressant de pouvoir le mettre en évidence lorsqu’il survient ?
D’ailleurs, n’est-ce pas une question à soulever en l’espèce, par rapport à l’arrêt des Semoules notamment (CE, 1ᵉʳ mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France) ?
Non, pas exactement. Il y avait un problème de constitutionnalité soulevé dans l’espèce des Semoules, donc difficile pour le juge administratif de se prononcer, conformément à sa jurisprudence antérieure (CE, 6 novembre 1936, Arrighi). Au moins, les juges du Palais Royal restent fidèles à leur jurisprudence, on ne peut pas le leur reprocher.
Président → RÀS il s’agit du magistrat qui a présidé la séance. Vous n’aurez pas grand-chose à faire de cette information, sauf si vous désirez lui envoyer des fleurs (même s’il est peut-être trop tard pour cette espèce) ;
Rapporteur → il s’agit du magistrat qui a instruit l’affaire. Là encore, vous n’aurez que faire de cet élément ;
Commissaire du gouvernement* → là, ça devient intéressant. Il s’agit d’un intervenant qui donne son avis sur l’affaire dans un rapport. On parle des « conclusions » du commissaire du gouvernement.
Vous pouvez parfois trouver ces conclusions, ce qui est très intéressant pour mieux saisir les implications d’une affaire. Faire du droit, c’est être curieux, chercher, trouver, approfondir. Pas juste prendre des notes comme un robot en CM et chercher 2 ou 3 réponses sur ChatGPT.
*Pour ne pas faciliter les choses, vous trouverez aujourd’hui la mention « rapporteur public » qui fait référence à ce qu’était le commissaire du gouvernement à l’époque.
VISAS → la décision en comporte de nombreux. Les visas sont tous les éléments qui commencent par « vu ».
Le juge établit tous les éléments de droit et de faits sur lesquels il fonde sa décision. Pour vous, chers étudiants en quête d’indices, il s’agira surtout de vous intéresser aux fondements juridiques (et éventuellement d’aller les lire).
Dans l’arrêt Nicolo, les visas nous apportent de précieuses informations qui permettent de savoir, à l’aveugle, quel est le thème de la décision :
Vu la Constitution, notamment son article 55 → ah, ici, on comprend directement conformité d’une loi à un traité (si on est un étudiant modèle qui a bien compris son cours…) ;
Vu le Traité en date du 25 mars 1957, instituant la communauté économique européenne → hum, on comprend qu’il y a un problème avec un traité (et pas n’importe lequel, s’il vous plaît, le Traité de Rome !). C’est évident étant donné la norme précédemment énoncée ;
Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 → là, on avoue, on n’a rien à dire. On peut supposer qu’il s’agit de la loi qui entre en conflit avec la norme internationale (mais à ce stade, on ne peut que supposer) ;
Vu le Code électoral → même supposition qu’au-dessus ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 → ici, on passe notre tour. On a déjà récolté suffisamment d’informations, celles-ci ne nous semblent pas fondamentales.
Allons approfondir notre découverte de la décision en allant scruter le fond.
Les considérants
Pour une décision du Conseil d’État, il est intéressant de scruter les considérants un à un, car souvent le considérant de principe ne se situe pas en fin de décision. L’arrêt Nicolo est composé de trois considérants.
Le premier rappelle les faits ;
Le deuxième fait état de l’application des règles ;
Le troisième fait état du contrôle de conventionnalité directement réalisé par le juge administratif → il n’affirme pas qu’il relève de son office de réaliser un contrôle de conventionnalité, il le fait directement. Moins de blabla, plus d’action.
Certains devraient prendre exemple sur le Conseil d’État : fidèle et homme/femme d’action, qui dit mieux ?
Résumé de l’arrêt Nicolo
En résumé, le 20 octobre 1989, dans la décision Nicolo, le Conseil d’État est venu statuer sur la demande d’un électeur du nom de Nicolo qui contestait la régularité des opérations électorales au niveau des communautés européennes (qu’on appelle, depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le 1ᵉʳ décembre 2009, l’Union européenne).
Il arguait notamment que la loi du 7 juillet 1977 excluait la possibilité pour les citoyens d’outre-mer de participer à ces élections.
Le Conseil d’État n’est pas de cet avis, la loi englobant tant la métropole que les territoires d’outre-mer. Mais, alors, quel lien avec le contrôle de conventionnalité ? Les juges administratifs précisent que le Traité de Rome n’exclut pas plus les territoires d’outre-mer.
La loi du 7 juillet 1977, postérieure au Traité, n’est pas en contradiction avec celui-ci. L’élection est valide, et le juge administratif en profite pour rappeler la suprématie des traités internationaux à la loi en opérant lui-même le contrôle de conformité de cette dernière à une norme internationale.
Mais alors, quelle différence entre Sarran (30 octobre 1998), Fraisse (2 juin 2000) et Nicolo ?
Alors que les deux premiers s’intéressent à la hiérarchie entre Constitution et traités (spoiler qui n’en est pas un si vous avez lu au-dessus ou appris votre cours de droit constitutionnel/d’introduction générale au droit → la Constitution prime les traités dans l’ordre interne) ; le dernier se concentre sur la hiérarchie entre loi et traités.
Analyse de l’arrêt Nicolo
Dans notre analyse de l’arrêt Nicolo, nous vous proposons d’établir la problématique qui s’est posée et qui aboutit à en tirer une portée juridique intéressante après en avoir tiré quelques explications.
Problématique de l’arrêt Nicolo
Dans la décision Nicolo, la problématique juridique qui s’est posée au juge administratif était de savoir s’il pouvait réaliser un contrôle de conventionnalité d’une loi. Tout l’intérêt de cette décision se situe juridiquement ici.
La problématique de l’arrêt Nicolo peut être formulée en ces termes : le juge administratif était-il compétent pour statuer sur la conformité d’une loi postérieure à un traité international ?
Vous n’auriez pas grand intérêt à tirer de la régularité des élections européennes pour un cours qui porte sur la hiérarchie des normes.
Il est évident qu’il peut y avoir plusieurs problématisations envisageables, mais réfléchissez : si vous commentez cet arrêt dans le cadre d’un cours de droit administratif ou d’introduction générale au droit, vous aurez rarement à mobiliser des connaissances que vous n’avez pas, relatives aux élections européennes.
Explications de l’arrêt Nicolo
Voici quelques explications pour mieux saisir le sens (ce que signifie) et la valeur (l’intérêt) de l’arrêt Nicolo.
Le sens de l'arrêt Nicolo
Dans cette décision, sans le (re) dire, le juge administratif met en évidence la primauté des traités internationaux sur les lois lorsqu’il opère un contrôle de conformité.
La suprématie des traités internationaux sur les lois
Le juge administratif admet la suprématie des traités internationaux sur les lois, car c’est seulement après avoir opéré son contrôle de conventionnalité loi vs Traité de Rome qu’il applique le texte législatif.
On comprend que si elle n’y était pas conforme, elle aurait été écartée par le Conseil d’État. La suprématie des traités internationaux sur les lois (même postérieures) ne fait plus aucun doute.
Cette position s’inscrit dans une logique déjà établie, d’abord, par le Conseil d’État qui
avait déjà affirmé qu’un traité prime une loi antérieure* (CE, 15, mais 1972, Dame Veuve
Sadol Ali).
*La question se posait pour une loi postérieure à un traité. Si elle n’y est pas conforme, remet-elle en cause le contenu de la norme internationale ?
En effet, si une loi non conforme est adoptée, c’est peut-être parce que le législateur a souhaité remettre en cause la situation établie par les normes conventionnelles ? Qu’en pensez-vous ? Eh bien, peu importe votre avis, car le Conseil d’État a répondu.
D’abord, à demi-mot (parce qu’apparemment, c’est trop dur d’être direct, même pour notre cher CE. Il lui fallait bien des défauts) dans sa décision des Semoules (CE, 1ᵉʳ mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France).
Il a laissé le spectateur en suspens, car « la conformité d’un texte législatif postérieur au Traité de Rome avec ledit Traité et avec un règlement communautaire lui-même antérieur à ce texte n’est pas une question susceptible d’être discutée devant le juge administratif ».
Pour faire court, il y avait des dispositions constitutionnelles en cause. Il ne faut pas tout mélanger, les dispositions constitutionnelles restent à César qui est ici, le Conseil constitutionnel (CE, 6 novembre 1936, Arrighi).
Ensuite, explicitement (c’est relatif, en effet), dans sa décision Nicolo : une loi contraire à un traité, même si elle lui est postérieure, doit y être conforme.
L’ouverture de l’office du juge administratif au contrôle de conventionnalité
Par cette décision, le juge administratif ouvre son propre office. Il est également* compétent pour opérer un contrôle de conventionnalité.
*Également, car la Cour de cassation avait posé les prémisses en opérant un contrôle de conventionnalité d’une loi, en 1975 (Cass. mixte, 24 mai 1975, Jacques Vabre).
La valeur de l'arrêt Nicolo
La valeur permet d’établir pourquoi cette décision est intéressante. Dans cette espèce, certains auteurs évoquent un revirement de jurisprudence* venu combler un vide juridique, laissé, jadis, par César (le Conseil constitutionnel, il faut suivre).
*Voir notamment la note qui porte sur la décision Nicolo aux grands arrêts de la jurisprudence administrative. C’est à cela qu’il doit vous servir… Approfondir.
Souvenez-vous, nous avons évoqué la décision IVG du 15 janvier 1975 du Conseil constitutionnel. Dans celle-ci, les juges constitutionnels refusent d’opérer un contrôle de conventionnalité. Mais alors, à qui appartient cette lourde mission ?
Le Conseil d’État a simplement été dans le sens de ce que le Conseil constitutionnel avait énoncé quelques années auparavant, en 1986 : les organes de l’État doivent veiller à l’application des conventions internationales, dans le cadre de leurs compétences respectives (Cons. cons., décision n° 86-216 du 3 septembre 1986).
Donc, le vide juridique est comblé, d’abord par la Cour de cassation en 1975 et ensuite par le Conseil d’État en 1989, aboutissant à une harmonisation des positions.
💡 La question s’est par la suite posée de savoir si le juge pouvait, en référé (procédure d’urgence), contrôler la conventionnalité des lois. Le Conseil d’État a répondu par l’affirmative dans sa décision, Madame Gonzalez-Gomez de 2016. Le contrôle de conventionnalité entre dans l’office du juge des référés (CE, 31 mai 2016, Mme Gonzalez-Gomez). Fidèle n’a - semble-t-il -, qu’un œil, car le Conseil d’É est revenu sur ses positions antérieures en la matière (CE, 30 décembre 2002, ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement c. Carminati). |
Portée de l’arrêt Nicolo
La portée de l’arrêt Nicolo amène à une rupture avec des positions antérieures qui pouvaient laisser planer un flou, les lois même postérieures doivent être conformes aux traités.
Certains parlent même d’un revirement de jurisprudence du fait de l’abandon de la théorie de la loi-écran.
La primauté des traités sur les lois même postérieures
Le Conseil d’État met en évidence le rôle des juges ordinaires qui ont la possibilité de réaliser un contrôle de conventionnalité et réaffirme la primauté des traités par rapport à la loi.
Il s’éloigne de la doctrine « Matter » ainsi appelée à la suite des conclusions du procureur général sur la décision Sanchez du 22 décembre 1931, de la Cour de cassation. Ce cher PG posait la question de savoir si les juges devaient suivre la voie de la loi postérieure à un traité, et y répondait par l’affirmative.
Si vous faites attention à la date de la décision (1931), vous comprendrez que nous nous situons sous la IIIe République, époque à laquelle le culte du légicentrisme* était encore marqué.
*Pour résumer, la loi est l’expression de la volonté générale (art. 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), donc elle ne peut pas mal faire.
Sa décision Nicolo met fin à cette position et a sûrement ouvert la voie à sa jurisprudence postérieure, car le Conseil d’État a notamment affirmé que la primauté valait pour :
Du droit primaire (CE, 5 mai 1995, ministre de l’Équipement, des Transports et du Tourisme c. SARL Der) ;
Du droit dérivé (CE, 24 septembre 1990, Boisdet).
Il a également pris soin de préciser que les lois organiques* devaient être conformes aux traités si elles ne reprennent pas les termes de la Constitution (CE, 6 avril 2016, Blanc et autres).
*Ce sont des lois qui viennent préciser des dispositions constitutionnelles (v. art. 46 de la Constitution pour leur procédure d’adoption spécifique).
L’abandon de la théorie de la loi-écran
La théorie de la loi-écran est complètement ignorée par la Haute juridiction de l’ordre administratif.
D’après cette théorie, le juge administratif ne pouvait pas porter d’appréciation sur une loi, ce qui aboutissait à ne pas contrôler la régularité d’un règlement administratif à une norme supérieure à un texte législatif (constitutionnelle ou encore internationale), car la loi faisait écran entre le règlement et ces autres textes.
Ainsi, lorsqu’un règlement intervenait en application d’une loi, le juge administratif se refusait à en contrôler la régularité à une norme de degré supérieur (constitutionnelle ou encore internationale).
Avec Nicolo, le Conseil d’État met fin à la théorie de l’écran législatif, pour le meilleur et pour le pire (mais, vous avez le FIGADA pour faire face au pire de manière ludique).
Autres arrêts importants sur la hiérarchie des normes
📜 La thématique de la hiérarchie des normes est centrale pendant les études de droit. Voici une liste d’autres décisions importantes sur le même thème à mettre en lien (aucun intérêt de les citer si vous n’êtes pas capable de les connecter) :
Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, IVG → refus de se déclarer compétent pour exercer le contrôle de conventionnalité ;
Cour de cassation, 24 mai 1975, Jacques Vabre → le traité du 25 mars 1957 a une autorité supérieure à celle des lois, même postérieures, conformément à l’article 55 de la Constitution ;
Conseil d’État, 30 octobre 1998, Sarran Levacher et autres → affirmation de la suprématie de la Constitution sur les traités internationaux dans l’ordre interne par le juge administratif ;
Cour de cassation, 2 juin 2000, Fraisse → affirmation de la suprématie de la Constitution sur les traités internationaux dans l’ordre interne par le juge judiciaire ;
Conseil d’État, 31 mai 2016, Madame Gonzalez-Gomez → le juge des référés peut contrôler la conventionnalité d’une loi.
Comment mémoriser l’arrêt Nicolo en image ?
🧠 Voici comment faire pour avoir durablement l’arrêt Nicolo dans votre mémoire en vue de réussir vos partiels.
Il suffit d’utiliser la technique de l'association mentale imagée qui est partie intégrante du fameux ouvrage FIGADA (Fiches illustrées des Grands arrêts du Droit Administratif) et de nos Flashcards imagées.
Pour cela, il est nécessaire d’imaginer dans sa tête une histoire à partir de ce que l’on veut mémoriser de l’arrêt Nicolo. Elle doit être originale, farfelue et mémorable ! (On en parle dans cet article sur la mémorisation du droit administratif ici).
Rappel de la portée juridique de l’arrêt Nicolo : le Conseil d’État rappelle, conformément à l’article 55 de la Constitution, que les traités internationaux priment les lois, mêmes postérieures, dans l’ordre interne (compétence pour réaliser un contrôle de conventionnalité). Le Conseil d'État abandonne la théorie dite de la loi écran.
La notion de primauté équivaut à une supériorité d’un élément sur un autre. On peut imaginer un podium, un signe « supérieur à », un élément petit VS un élément beaucoup plus grand, et pour être plus loufoque, un élément qui écrase le petit.
Vous avez compris, le grand indique les traités internationaux (drapeau de l’UE), le petit l’ordre interne (drapeau français).
Nous avons aussi un abandon d’une loi-écran : on peut imaginer le Conseil d’État qui balance sur l’autoroute une télévision (« écran »). Ou qu’il s’assoie dessus pour la faire disparaître.
Il faut aussi relier tout cela au nom Nicolo et retenir 1989.
Voici donc l’histoire loufoque que nous pouvons créer dans notre cervelle pour retenir cette décision :
On imagine donc l’histoire de cette vieille dame, prénommée Nicole (Nicolo), 89 ans (1989), déguisée en haute juridiction (en Conseil d’État), un marteau à la main (ok, le marteau est un concept américain mais c’est pour mieux retenir !), et le drapeau de l’Union européenne dans l’autre main.
Hop là ! Tout d’un coup, en bonne représentante de la primauté du droit de l’UE, elle envoie un énorme coup de marteau sur le drapeau français (ordre interne) pour y planter dessus (comme le drapeau américain sur la Lune) le drapeau bleu aux 12 étoiles (celui de l’UE, vous avez suivi !).
On imagine alors une bulle de bande dessinée pour faire parler Nicole => elle crie de colère « le contrôle, c’est moi » (dédicace à JL Mélenchon qui criait « la République, c’est moi !) ».
Fatiguée, Nicole s’assied finalement sur un écran de télévision sur lequel est écrit « Loi-écran ».
On pourra mettre une montre à Nicole pour ajouter un trigger (élément déclencheur) sur l’élément temporel : elle contrôle même lorsque la loi est postérieure à l’acte international en cause.
Voilà, l’arrêt Nicolo est en mémoire !
Article rédigé par une enseignante en Droit administratif
(attachée temporaire d'enseignement et de recherche)
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