Voici un commentaire d'arrêt de Cass., com., 10 novembre 2015, n°14.18179 portant sur le contrat de société, qui a obtenu une note de 19/20. Il y sera étudié : l’activité réelle d’une société à risque limité, non constitutive d’une cause de nullité puis la limitation des causes de nullité des sociétés à risque limité.
Sommaire :
A. La détermination d’une faute détachable des fonctions sociales
B. L’illicéité de l’objet réel, cause de nullité des sociétés à risque illimité
A. La nullité d’une société prononcée en fonction de son objet statutaire
B. La restriction des causes de nullité au nom du droit communautaire
N.B.: Cette copie est le fruit de la réflexion d’un étudiant en droit. La découvrir vous permettra de comprendre le raisonnement de ce dernier, qui lui a valu la note indiquée. Elle vous aidera à ce que vous ayez les outils pour formuler votre propre réflexion autour du sujet donné. Pour rappel, le plagiat est formellement interdit et n’est évidemment pas recommandé si vous voulez vous former au droit. En d’autres termes, réfléchissez vous-même ! Enfin, cette copie n’a pas eu 20/20, gardez un œil critique sur ce travail qui n’est donc pas parfait.
Disclaimer : attention ! N’oubliez pas que selon les facultés et les enseignants, l’approche méthodologique peut varier. La méthodologie utilisée dans cette copie n'est donc pas universelle. Respectez la méthodologie enseignée par vos chargés de travaux dirigés et par vos enseignants 😊.
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[Faits et procédure] Dans un arrêt rendu le 10 novembre 2015 par la chambre commerciale, la Cour de cassation explicite l’une des causes de nullité des sociétés à responsabilité limitée, à savoir l’illicéité de l’objet statutaire, cause de nullité que l’on retrouve pour toutes les sociétés à risque limité.
Une société veut réaliser une opération immobilière. Pour cela, elle constitue une société civile de construction vente et demande un permis de construire qui lui est fourni. Cependant, une société à responsabilité limitée (SARL) attaque ce permis de construire devant le tribunal administratif. Ce recours est rejeté au motif que cette société n’avait pas d’intérêt à agir.
En réponse à ce recours, la société de promotion immobilière assigne la SARL pour que soit prononcée son annulation et que lui soient versés des dommages-intérêts. La SARL est par ailleurs mise en redressement et en liquidation judiciaires. Celle-ci forme alors un pourvoi principal tandis que la société de promotion immobilière et la société civile de construction vente forment un pourvoi incident.
La cour d’appel retient, de la part du gérant associé de la SARL, la commission d’une faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions de gérant, ce que conteste le requérant au pourvoi principal. En effet, si la juridiction de second degré retient que le rejet du recours contre le permis de construire permet de caractériser une telle faute, elle ne parvient pas à se justifier. De plus, elle ne prouve pas l’intention du gérant de la SARL de s’enrichir personnellement. Enfin, alors que la cour d’appel relève que la SARL avait une véritable activité, elle estime également que le gérant de cette même société a usé de « moyens frauduleux », ce qui est donc contradictoire.
De plus, la société de promotion immobilière et la société civile de construction vente considèrent que la SARL a été créée dans le seul but de contester le permis de construire et de monnayer son éventuel désistement, ce que n’a pas retenu la cour d’appel. En effet, celle-ci estime que l’objet statutaire de la SARL en question n’a pas de caractère illicite et n’est pas contraire à l’ordre public.
Or, les requérants au pourvoi incident considèrent qu’il faut prendre en compte l’objet réel pour rendre compte de l’éventuelle illicéité de l’objet social d’une SARL, et non son objet statutaire.
[Problème de droit] Deux questions se posent en pratique. Tout d’abord, le gérant d’une société commet-il une faute personnelle séparable de ses fonctions sociales lorsqu’il multiplie les recours contentieux ? En outre, l’éventuelle illicéité de l’objet réel d’une société peut-elle entraîner sa nullité, malgré la licéité de son objet statutaire ?
[Solutions] A cette première question, la Cour de cassation répond par l’affirmative. En effet, la SARL engage de multiples recours qui sont étrangers à l’objet et à l'intérêt même de la société. Ainsi, le gérant a commis une faute intentionnelle d’une particulière gravité séparable de ses fonctions sociales, puisqu’il a agi dans un but d’enrichissement personnel.
A cette seconde question, la Cour de cassation répond également par l’affirmative. En effet, en conformité avec les textes européens, il importe peu que dans les faits, la société ait pour seule activité l’exercice de chantage par la multiplication de recours, puisque dans ses statuts, l’objet social est licite. Ainsi, la nullité de la SARL ne peut pas être prononcée sur ce motif.
En conséquence, la Cour de cassation rejette tant le pourvoi principal, que le pourvoi incident.
En ce qui concerne les nullités des sociétés à risque limité, cette décision écarte totalement l’objet réel d’une société, ce qui semble pouvoir être problématique. Cette position sera par la suite nuancée.
[Annonce de plan] Après avoir caractérisé une faute de la part du gérant et mis de côté le caractère illicite de son activité réelle (I), la Cour de cassation écarte la nullité de la SARL au regard du droit européen qui fait prévaloir, pour certaines sociétés seulement, la licéité de l’objet statutaire de la société sur l’illicéité éventuelle de son objet social réel (II).
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I - L’activité réelle d’une société à risque limité, non constitutive d’une cause de nullité
Une faute détachable des fonctions sociales est imputée au gérant de la SARL (A), tandis que l’objet social réel de cette même société semble illicite, ce qui devrait constituer une cause de nullité (B).
A. La détermination d’une faute détachable des fonctions sociales
Dans un arrêt de la Cour de cassation rendu le 27 janvier 1998, la chambre commerciale relève que la responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers ne peut être retenue que s’il a commis une faute séparable de ses fonctions et qui lui est personnellement imputable.
Dans un arrêt rendu le 20 mai 2003, la chambre commerciale en donne un exemple : en effet, il en est ainsi lorsque le dirigeant commet de manière intentionnelle une faute d’une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales. Telle est donc la définition de la faute détachable des fonctions. En conséquence, le dirigeant, qui peut être tenu responsable de ses actes vis-à-vis de la société, peut désormais être tenu responsable civilement vis-à-vis des tiers, ce que prévoit effectivement l’article L. 223-22 du Code de commerce.
En l’espèce, la cour d’appel qualifie le comportement du gérant de la SARL de faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions de gérant, ce que conteste le requérant au pourvoi principal. Pour pouvoir qualifier un comportement de tel, trois conditions doivent être réunies, à savoir une faute intentionnelle, d’une particulière gravité et incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales. La Cour de cassation donne ici raison à la juridiction de second degré. En effet, le recours engagé par le gérant de la société au nom de celle-ci, a été rejeté en première instance, ainsi qu’en seconde instance, pour défaut d’intérêt à agir.
En outre, le Conseil d’Etat a écarté le pourvoi en cassation du gérant car celui-ci était irrecevable ou n’était pas de nature à entraîner la cassation de la décision. Cette décision de non-admission, qui a mis fin à la procédure, permet donc de déclarer sans hésitation que le projet immobilier de la société de promotion immobilière ne portait pas atteinte à l’existence et au fonctionnement de la SARL. Bien plus, ce projet n’avait aucune répercussion sur cette dernière.
De plus, le gérant de la société a, par le passé, engagé, au nom de la SARL, plusieurs recours similaires contre d’autres projets, recours qui ont tous été rejetés. Ainsi, il semble que ces recours étaient exercés contre des projets qui n’avaient également aucune répercussion sur l’existence ou le fonctionnement de la SARL, ce qui permet d’avancer que l’activité exercée par le gérant de la SARL est incompatible avec l’objet et l’intérêt de la société.
Au contraire, le gérant ne pouvait agir que dans un but d’enrichissement personnel, ce qui permet de qualifier le comportement du gérant de faute intentionnelle d’une particulière gravité, séparable de ses fonctions. Avec cet arrêt de 2015, la Cour de cassation poursuit la jurisprudence née en 2003. Il faut par ailleurs relever que cette définition de la faute détachable semble particulièrement stricte et restrictive.
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B. L’illicéité de l’objet réel, cause de nullité des sociétés à risque illimité
Les requérants forment un pourvoi incident au motif que la société à responsabilité limitée n’a été créée que dans le seul but de contester le permis de construire et de monnayer son éventuel désistement. De plus, la cour d’appel a relevé l’existence de plusieurs recours exercés par la SARL contre des projets similaires, recours qui ont tous été rejetés pour défaut d’intérêt à agir.
Ainsi, la question se pose de savoir si cette société n’a été créée que dans le but de monnayer des retraits de contestations engagées contre des permis de construire, ou bien, si elle s’est simplement retrouvée impliquée dans les opérations de chantage que son gérant effectuait. Dans le premier cas, cette activité, illicite de fait, serait le premier, voire le seul objet de la société, tandis que dans le second cas, les activités désignées dans les statuts, en l’occurrence licites, ne seraient pas les seules occupations de la SARL.
En l’espèce, il semblerait en effet que l’activité à laquelle s’adonne la société, c’est-à-dire son activité réelle, soit illicite. En effet, la cour d’appel relève le fait que les multiples recours engagés par le gérant sont étrangers à l’objet et à l’intérêt de la société.
Ainsi, il semblerait effectivement que la SARL multiplie les recours dans le but de faire du chantage à différentes sociétés. Traditionnellement, l’appréciation de l’illicéité de l’objet s’apprécie par référence à l’objet réel de la société, et non au regard de l’objet statutaire. Tel est le cas dans un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation rendu le 18 juillet 1989.
Cependant, la société en question est une SARL, c’est-à-dire une société à risque limité. Or, depuis une directive du 16 septembre 2009, et plus exactement avec son article 12, les juges sont tenus, lorsqu’une société à risque limité est concernée, de se référer à l’objet statutaire de la société, et non à son activité réelle pour rendre compte de l’éventuelle nullité de la société. La cour d’appel ne prononce pas la nullité de la société.
Il faut donc en comprendre que son objet social mettait en cause, dans les statuts, une activité autre que celle exercée par son gérant associé issue de la contestation des permis de construire. L’objet statutaire était donc licite en lui-même et ne concernait pas les opérations de chantage.
De plus, cette directive, qui pose une liste limitative des causes de nullité, ne mentionne pas la fraude. En conséquence, bien qu’il y ait sans doute eu une intention frauduleuse de la part de tous les associés de la SARL en question, la nullité de celle-ci ne peut pas être prononcée. La cour d’appel avait en effet constaté que les associés de la SARL ont « nécessairement agi à des fins d’enrichissement personnel par des moyens frauduleux », ce que ne semble pas rejeter la Cour de cassation.
En conséquence, si la fraude et l’illicéité de l’activité réelle d’une société à risque limité ne sont pas à même de faire prononcer la nullité d’une telle société, ce n’est pas le cas concernant les sociétés à risque illimité.
Ainsi, concernant une SARL, il faut se référer à son objet social statutaire. Il faut donc en comprendre que les causes de nullité d’une société à risque limité sont particulièrement limitées par le droit de l’Union Européenne.
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II - La limitation des causes de nullité des sociétés à risque limité
Seul l’objet social défini dans les statuts peut être une cause de nullité d’une société à risque limité, lorsque celui-ci est illicite (A), cause de nullité posée par le droit communautaire qui limite drastiquement le prononcé de nullité des sociétés (B).
A. La nullité d’une société prononcée en fonction de son objet statutaire
Si les requérants au pourvoi incident estiment que l’illicéité de l’objet réel d’une société doit suffire pour prononcer la nullité de celle-ci, la Cour de cassation et avant elle, la cour d’appel, ont retenu une solution différente. En effet, celles-ci considèrent que ce qui est important pour déterminer si la nullité de la société doit ou non être prononcée, c’est l’objet social inscrit dans les statuts.
La nullité des sociétés est prévue à l’article L. 235-1 du Code de commerce qui prévoit qu’elle est prononcée en cas de violation « d’une disposition expresse du présent livre » – à savoir le livre concernant les sociétés commerciales et les groupements d’intérêt économique –, « ou des lois qui régissent la nullité des contrats ». Ainsi, on retrouve notamment, comme cause de nullité d’une société, l’illicéité de l’objet social.
En l’espèce, il semblerait que l’objet réel de la société soit illicite. Cependant, si l’article 1 833 du Code civil ne distingue pas lequel de l’objet social réel ou de l’objet social statutaire doit être licite pour qu’une société soit valide, la Cour de cassation retient dans ce cas précis, l’objet statutaire de la société. Cela s’explique par les précisions apportées par le droit de l’Union Européenne. En effet, l’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil du 9 mars 1968 permet de mieux appréhender l’article 1 833 du Code civil. Cet article 11, repris par la suite, par l’article 12 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2009, impose, en ce qui concerne les sociétés par actions et les SARL, de se référer à l’objet statutaire de la société pour en apprécier le caractère licite ou illicite.
Cela ressort particulièrement dans un arrêt Marleasing SA/Comercial internacional de Alimentación SA, rendu par la Cour de justice de l’Union Européenne le 13 novembre 1990. En effet, il résulte de cette interprétation que « la nullité d’une société tenant au caractère illicite ou contraire à l’ordre public de son objet doit s’entendre comme visant exclusivement l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts ».
Ainsi, pour apprécier la licéité de l’objet social, il faut prendre en compte l’objet statutaire et non pas l’activité réelle de la société. Cet arrêt concerne les SARL, mais cette solution doit être transposée aux sociétés par action qui sont également soumises aux directives précitées. Rappelons également que cet article ne s’applique pas aux sociétés à risque illimité. Dans ses motifs, la Cour de cassation reprend ces deux directives, ainsi que l’arrêt rendu par la Cour de justice.
Cette décision, dont l’interprétation a été reprise dans cet arrêt du 10 novembre 2015, écarte totalement l’objet social réel de la société, c’est-à-dire son activité réelle. Or, jusqu’ici, il existait une primauté de l’objet réel sur l’objet statutaire. Cette jurisprudence a ainsi pour but de limiter les cas de nullité des sociétés.
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B. La restriction des causes de nullité au nom du droit communautaire
La Haute juridiction s’appuie ici sur un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union Européenne, arrêt qui interprète une directive du Parlement européen et du Conseil. La directive en question (2009/101/CE) du 16 septembre 2009 a vu son article 12 codifié par une directive du 14 juin 2017, en l’occurrence à son article 11. Cet article, qui énonce comme cause de nullité « le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société », ne fait donc pas la différence entre l’objet social réel et celui statutaire. C’est en effet la Cour de justice de l’Union Européenne qui a donné la réponse à cette question dans son arrêt Marleasing. Cette directive dresse une liste de causes de nullités, mais la question se pose de savoir si cette liste est limitative ou non.
La réponse à cette question est positive : en dehors de ces cas prévus par le droit communautaire, la nullité d’une société par action ou d’une SARL ne peut pas être prononcée.
Cette position, ou plus précisément l’interprétation de la Cour de justice de l’Union Européenne, restreint de manière drastique les causes de nullité des sociétés. Cela s’explique par l’impératif de sécurité juridique. En effet, en limitant les cas de nullités, les tiers qui seraient liés aux sociétés concernées sont par-là même protégés. En effet, ils pourraient se retrouver mis en difficultés si les engagements qu’ils ont passé avec elles, étaient annulés.
Cependant, des critiques peuvent être apportées. En effet, il faut savoir qu’en droit des sociétés, la nullité d’une société est prononcée sans rétroactivité : il s’agit en réalité d’une cause de dissolution. Ainsi, les actes conclus antérieurement à la dissolution restent valables.
De plus, la nullité d’une société n’est pas opposable aux tiers de bonne foi, conformément à l’article 1 844-16 du Code civil.
En outre, il est rare qu’un objet social illicite ou contraire aux bonnes mœurs soit affiché comme tel dans les statuts.
Cependant, si cette position avait déjà fait l’objet d’un revirement de jurisprudence par rapport aux arrêts du 18 janvier 1992 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation et du 21 septembre 2001 rendu par la cour d’appel de Paris qui avaient refusé d’appliquer cette solution, cette position mérite d’être nuancée. En effet, sans pouvoir véritablement parler de revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a nuancé sa position en élargissant l’appréciation de l’objet social statutaire. En effet, l’illicéité ne s’apprécie plus seulement par rapport à la seule clause qui le définit, mais par rapport à l’ensemble des dispositions statutaires. Il est possible de citer pour exemple, un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 avril 2017.
Méline Ferrand
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