L'arrêt du 8 avril 2022 du Conseil d'État rendu par les 10e et 9e chambres réunies portant sur l'élargissement du champ de légalité à des actes de droit souple et sur la contestabilité grandissante du droit. Cet exemple de copie de commentaire d'arrêt en droit administratif a obtenu la note de 15/20.
Cette copie vous aidera à mieux comprendre la méthode du commentaire d'arrêt. 😁
Sommaire :
N.B.: Cette copie est le fruit de la réflexion d’un étudiant en droit. La découvrir vous permettra de comprendre le raisonnement de ce dernier, qui lui a valu la note indiquée. Elle vous aidera à ce que vous ayez les outils pour formuler votre propre réflexion autour du sujet donné. Pour rappel, le plagiat est formellement interdit et n’est évidemment pas recommandé si vous voulez vous former au droit. En d’autres termes, réfléchissez vous-même ! Enfin, cette copie n’a pas eu 20/20, gardez un œil critique sur ce travail qui n’est donc pas parfait.
Disclaimer : attention ! N’oubliez pas que selon les facultés et les enseignants, l’approche méthodologique peut varier. La méthodologie utilisée dans cette copie n'est donc pas universelle. Respectez la méthodologie enseignée par vos chargés de travaux dirigés et par vos enseignants 😊
Nous avons laissé en orange les commentaires du correcteur.
Commentaire général de l'enseignant : « Cette copie est extrêmement claire. La rédaction est fluide. Les majuscules au bon endroit. Les termes employés sont définis avec rigueur. L’arrêt est bien compris et le plan construit à partir de sa solution. Le raisonnement du juge est analysé et inscrit dans le cadre du cours, ce qui correspond exactement aux attentes en commentaire de décision.
En somme, le cours est utilisé pour commenter la décision du CE. Il apporte une plus-value et permet de mieux comprendre le raisonnement du juge et ses incidences d’ordre juridique. En particulier, l’étudiante justifie ses propos à l’aide de fondements juridiques ce qui enrichit son commentaire.
Sur le fond, parfois des éléments sont avancés sans être exploités, ce qui est dommage. Il faut toujours aller au bout des idées. Si des jurisprudences/ éléments doctrinaux sont exploités, il faut en tirer des conclusions par rapport à la décision commentée. À certains moments, l’étudiante se contente d'effleurer la décision, ce qui n’est pas suffisant. D’autres fois, des éléments semblent placés au mauvais endroit et auraient été plus pertinents dans d’autres sous-parties du devoir. Sur la forme, néanmoins, les titres gagneraient en clarté et intelligibilité s’ils étaient raccourcis. »
[Accroche] « La littérature grise » est une expression employée par les maîtres des requêtes au Conseil d’Etat C. Malverti et C. Beaufils dans leur article « La littérature grise tirée au clair » publié dans l’AJDA de 2020 à la page 1417, pour qualifier « l’ensemble des documents que, sous des appellations diverses – circulaires, instructions, notes de services, directives, lignes directrices, etc.—les autorités administratives produisent. ».
On observe donc que ces actes qui relèvent traditionnellement du droit souple rencontrent une tension entre leur objectif primaire de fluidification de la machine administrative (blanc) et leur impact pouvant être normatif (noir). Cet impact sur l’ordre juridique devrait en théorie être soumis au contrôle de légalité [Ndlr : Voir un autre commentaire d'arrêt sur le contrôle de légalité].
Depuis plusieurs dizaines d’années, on observe dans la jurisprudence du Conseil d’Etat une évolution consacrant le caractère normateur de certains actes de droit souple et la possibilité de les soumettre au contrôle de légalité : c’est le sujet de l’arrêt porté à notre analyse aujourd’hui.
[Faits] Il s’agit d’un arrêt de rejet du Conseil d’État rendu le 8 avril 2022, nommé Syndicat National du Marketing à la Performance et qui a été publié au recueil Lebon. Il concerne la possibilité d’un recours pour excès de pouvoir contre une « question-réponse » d’un document de portée générale.
Le Syndicat national du marketing à la performance (SNMP) et le Collectif des acteurs du marketing digital (CAMD) ont chacun déposé une requête que le Conseil traite conjointement.
[Procédure] Les requérants demandent au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir une question-réponse publiée par la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) sur son site internet. Ce texte a été pris en application de lignes directrices et d’une recommandation intitulée "cookies et autres traceurs" conformes à l’interprétation par la CNIL de l'article 82 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978.
[Moyens] Les requérants estiment que ce document de portée générale présente un contenu tenant à produire des effets notables sur la situation des personnes qui se livrent à des opérations d'affiliation, des utilisateurs et des abonnés de services électroniques et que cela affecte leurs activités économiques de manière disproportionnée.
Les deux requérants réclament en complément un dédommagement à hauteur de 5 000€ pour le préjudice subi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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[Problème de droit] La question de droit posée ici est la suivante : une question-réponse peut-elle faire l’objet d’une demande en annulation par un recours pour excès de pouvoir ?
[Solution] Tout d’abord, le Conseil d’État a reconnu l’intérêt suffisant à agir des requérants par les activités de défense des intérêts des entreprises qu’ils exercent et le recours est jugé comme recevable. Le Conseil reconnait qu’il appartenait du ressort de la CNIL de prendre de telles mesures car ces deux délibérations s'inscrivent dans le plan d'action de la CNIL sur le ciblage publicitaire annoncé le 28 juin 2019 visant à préciser les règles applicables et à accompagner les acteurs dans leur mise en conformité. Il est donc de la mission de cette Autorité Administrative Indépendante de prendre des mesures à ce sujet pour avertir la population.
Ensuite, le Conseil précise que le recours pour excès de pouvoir est ouvert aux documents de portée générale émanant d'autorités publiques du moment qu’ils présentent des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. Le juge administratif, par son pouvoir de juge de l’excès de pouvoir, a le devoir d’examiner les vices pouvant entrainer l’illégalité de l’acte incriminé et potentiellement de l’annuler même s’il s’agit d’un acte de droit souple qui n’est en principe pas normateur.
Enfin, le Conseil d’État rejette la demande d’annulation pour excès de pouvoir des recommandations et de la question-réponse mises en ligne par la CNIL car celle-ci n’a édicté aucune interdiction générale et absolue du dépôt des traceurs incriminés, elle n'a pas excédé sa compétence.
Cet arrêt répond à une question fondamentale : un document de portée générale relevant du droit souple peut-il faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir comme les actes normateurs ?
[Annonce de plan] Dans une première partie nous verrons que le champ de légalité s’élargit en incluant une nouvelle catégorie d’actes administratifs susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (I). Dans une deuxième partie nous démontrerons que cette évolution jurisprudentielle n’est pas nouvelle et s’inscrit en réalité dans une lignée continue d’ouverture du champ de légalité par le juge administratif (II).
I. L’élargissement du champ de légalité à des actes de droit souple : le recours pour excès de pouvoir ouvert à des actes ne faisant pas grief auparavant
🌥 La reconnaissance que fait le Conseil d’Etat de la portée normative d’actes de droit souple leur permet d’acquérir la qualification d‘acte faisant grief et par conséquent de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (A). Cependant, le raisonnement des juges reste rationnel car sont posées des conditions qui permettent d’identifier les documents visés par l’ouverture du recours pour excès de pouvoir (B).
A. Une nouvelle catégorie d’actes de droit souple pouvant faire grief entrainant élargissement du recours devant le juge administratif
En principe, les actes de l’Administration peuvent être classés en deux catégories suivant leur justiciabilité : les actes faisant grief et les actes ne faisant pas grief. Les premiers sont des actes normateurs et peuvent faire l’objet d’un recours contentieux mais les seconds, par leur faible portée normative, sont considérés comme de simples actes non-décisoires et en étaient exclus.
Cette distinction ne cesse d’être remise en cause ces dernières années par différents arrêts du Conseil d’Etat. L’un d’entre eux ayant précédé notre arrêt est un exemple notable : l’arrêt d’assemblée du 21 mars 2016 intitulé Fairvesta et qui consacre que les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés peuvent être déférés devant le juge pour excès de pouvoir. Ainsi, le juge administratif dissocie les notions d’acte normateur et d’acte faisant grief car à présent un acte non-normateur peut également faire grief et être porté au contrôle du juge de l’excès de pouvoir. On observe un déplacement des notions de juridicité et de justiciabilité.
Dans notre arrêt, le juge a admis la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir contre des actes qualifiés de non-normateurs, appartenant au droit souple : « Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. ».
On remarque que la précédente exclusion du droit souple du recours contentieux est révolue. De nouvelles catégories variées d’actes non-décisoires peuvent faire grief à condition d’avoir une portée générale, y compris une Foire aux Questions en l’occurrence, des lignes directrices ou tout autre document à caractère impératif.
Ainsi, des actes non-normateurs peuvent faire l’objet de recours pour excès de pouvoir et les administrés bénéficier d’un champ de recours plus large. Mais cette ouverture comporte tout de même certaines limites : des conditions posées par l’arrêt et le régime du recours pour excès de pouvoir.
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B. Une ouverture rationalisée par des conditions et un régime juridique
Dans leur décision, les juges du Conseil d’Etat ont prévu les conditions nécessaires à l’ouverture du recours pour excès de pouvoir pour des actes qui en étaient auparavant exclus.
Tout d’abord il doit s’agir de « documents de portée générale » qui ont vocation à s’appliquer au plus grand nombre et non pas à des situations particulières. Ces dispositions doivent naturellement émaner d’autorités publiques.
De plus, ces documents doivent être légitimement soupçonnés « d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. ». Ainsi, peuvent être examinés les recours portant sur des dispositions générales « qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. ».
Il s’agit de nouveaux critères qui permettent de préciser l’étendue de l’ouverture du prétoire au droit souple. Un plus grand nombre d’actes peuvent être concernés par le recours pour excès de pouvoir grâce à ces nouveaux critères.
Il appartient au juge de déterminer l’ampleur des effets notables en s’aidant de la nature de l’acte et de son caractère impératif, bien que dans sa formulation l’arrêt peut être compris comme ne posant pas ces critères comme limitants. Ces effets peuvent être dirigés contre les destinataires
primaires de l’acte mais ont été étendus par cet arrêt à toutes les personnes chargées de les mettre en œuvre, c’est un effet par ricochet. On retrouve ici la volonté d’ouvrir les possibilités de recours pour excès de pouvoir.
Ces dispositions peuvent prendre différentes formes. Elles peuvent être « matérialisées ou non » ce qui ne limite pas les recours aux simples supports matériels et inclut les supports électroniques comme une Foire aux Questions en ligne.
Enfin, l’ouverture du recours pour excès de pouvoir aux actes de droit souple ne les exempte pas de se soumettre au régime juridique de l’excès de pouvoir : le requérant doit prouver qu’il a intérêt à agir. En l’espèce, le juge a vérifié que les requérants présentaient un intérêt suffisant à agir avant de déclarer leur recours recevable.
Bien que cette ouverture du champ de légalité semble innovante, elle s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle de longue date qui démontre que le juge administratif étend sa compétence de contrôle [Ndlr : Voir un commentaire d'arrêt sur la compétence du juge administratif].
II. La contestabilité grandissante du droit souple : l’œuvre du juge administratif
🦸♀️L’ouverture des possibilités de recours aux actes ne faisant pas grief n’est pas une position nouvelle. Le juge administratif est maître de cet élargissement (A), il poursuit un travail d’ouverture des saisines entamé depuis quelques années déjà (B).
A. L’ouverture des saisines, un processus mis en œuvre par le juge administratif par le biais du recours pour excès de pouvoir
Le juge administratif ouvre lui-même son prétoire en permettant à des actes auparavant exclus de tout recours contentieux de pouvoir en bénéficier. Il octroie un nouveau droit aux administrés : le recours pour excès de pouvoir contre des actes non normateurs de droit souple. Ainsi, les administrés bénéficient de davantage de possibilités de recours et le contrôle de la légalité des actes est accru.
Mais cette compétence de fixation des conditions appartient au juge et bien qu’il soit enclin à l’ouvrir, si jamais les recours venaient à proliférer il pourrait les limiter dans un souci de bonne administration. Son but n’est pas de consacrer une possibilité de recours exagérée mais de rationnaliser le contrôle de légalité opérable.
En l’espèce, il se réserve le droit d’apprécier la recevabilité d’un recours en vertu de la procédure pour excès de pouvoir : « Il appartient au juge de l'excès de pouvoir d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. ».
Il précise également, selon la procédure du recours pour excès de pouvoir, que le requérant doit présenter un intérêt à agir, ce qu’il n’avait pas fait dans sa précédente décision GISTI du 12 juin 2020. Pourtant, le Professeur Laferrière dans son ouvrage Chapitre II – Conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir rejoint ce principe car selon lui « pour former valablement un recours pour excès de pouvoir, il faut être réellement touché par une décision actuelle ».
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B. Une position jurisprudentielle s’inscrivant dans une lignée continue
L’arrêt porté à notre analyse n’est pas isolé dans les évolutions qu’il consacre. On observe depuis plusieurs années une ouverture progressive mais continue du prétoire au contrôle de la légalité du droit souple. Ces évolutions ont ouvert la voie à notre décision.
Ainsi, il convient de citer comme pionnier de l’ouverture des saisines l’arrêt de section du 11 décembre 1970, Crédit foncier de France où le Conseil d’Etat était amené à se prononcer sur la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir formé contre une directive. Sa réponse avait été positive pour la première fois.
Par la suite dans un arrêt de 2002 intitulé Madame Duvignères, le juge administratif a élargi davantage la possibilité de recours pour excès de pouvoir en ne fixant qu’un critère d’impérativité aux directives et circulaires afin d’être susceptible de recours pour excès de pouvoir.
Plus récemment, dans un arrêt très similaire au nôtre rendu en section le 12 juin 2020 intitulé Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), le Conseil d’Etat atteint sa jurisprudence actuelle qui permet aux documents de portée générale dès qu’ils ont un caractère impératif ou des effets notables d’être portés devant le juge et faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Notre arrêt s’inscrit dans une lignée de jurisprudences évolutives et consacre en plus une nuance propre à son cas d’espèce permettant à une disposition issue d’une Foire aux Questions de faire grief.
Elise HEIDER
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